mardi 3 novembre 2009

Après France Télécom : Carglass, et la souffrance au travail

L'entendez-vous, donlong donlong, le tocsin que l'on sonne depuis quelques semaines à propos de la "souffrance au travail" ?Après l'avoir méconnue pendant des années, cette souffrance, la voici urgemment érigée sur toutes les ondes en objet de débats et d'interviews d'experts, de dossier politique et de mesures promises : le "stress" est partout vilipendé, et l'on est bien décidé à dénoncer par la "publicité-transparence" (sic) toutes les entreprises qui se rendraient coupables de "mauvaises pratiques"...

Le cas Carglass : de la transparence du pare-brise

Cette malencontreuse "publicité transparence", c'est un peu ce qui arrive à Carglass, l'entreprise observée à la loupe dans le deuxième épisode de « La mise à mort du travail », série documentaire produite par Christophe Nick et réalisée par Jean-Robert Viallet, diffusée sur France 3 : l'auteur du docu ne pouvait rêver contexte plus favorable pour s'estimer attendu, entendu et multiplier les occasions de l'être mieux encore, en d'innombrables entretiens (ici, , ou ) qui pour un peu risqueraient de nous faire passer du silence assourdissant à l'overdose tympannisante.

On ne se plaindra pas qu'un tel problème soit enfin pris en compte par la parole publique ; on ne s'étonnera qu'à peine de la logique macabre qui a présidé à l'érection du thème en préoccupation collective - ce geste tragique des suicidés au travail, payant de leur vie, pour mille raisons auxquelles nous n'aurons jamais accès, la mutation d'une douleur silencieuse en un cri sociétal, et le réflexe d'une société s'emparant de la question moins parce qu'elle pose un problème de dignité humaine que parce qu'elle génère un problème d'image médiatique...

Mais le problème de l'image médiatique, Pare-brisec’est donc sur Carglass qu'il se concentre ces derniers jours - sans qu'il y ait eu, à ma connaissance, le moindre suicide lié aux conditions de travail chez les réparateurs de pare-brise.

Le film consacré à l'entreprise ne lui fait certes pas de cadeau, avec une voix off déjouant très explicitement les manigances de la rhétorique entrepreneuriale, pointant la recherche exclusive du profit là où l'on prétend ne s'inquiéter que de la "satisfaction du client", relevant les mécanismes de la compétition individuelle là où l'on vend "l'esprit d'équipe", et l'aliénation générale des employés dans une entreprise qui parle de "bonheur", de "vision" et "d'idéal" pour ses salariés.

L'épisode illustre l'aliénation dans le travail, donc, plus que la "souffrance au travail" (à l'époque du tournage, cette dernière expression n'était pas encore "à la mode"). "L'aliénation", c'est le titre de l'épisode, et c'est le mot pour dire l'éprouvante dépersonnalisation dont témoigne cette employée anonyme, quand elle raconte le processus d'une journée de travail au call center :

"Le matin quand il faut que j'aille travailler chez Carglass je me mets dans une autre peau", "je mets mon cerveau entre parenthèses", "je ne réfléchis pas", "je travaille sans réfléchir", "je ne m'implique pas", "il ne faut pas s'impliquer" - ... et le soir "tu redeviens toi-même".

Même son de cloche (de tocsin ?) chez son confrère, au call center aussi, qui parle de son job comme d'une tâche de "robot parlant", et de la nécessité de "mettre un mouchoir sur sa fierté" et de se "gommer soi-même" pour mimer une ardente adhésion à la rhétorique commanditée par la boîte.

A visage caché, ces deux-là, qui sont bien bas dans hiérarchie de la super boîte à bonheur, trahissent quelque chose de la déshumanisation qu'ils sont encore conscients de subir en récitant huit heures par jour leur script décérébrant.
Quelques échelons plus haut, c'est plus subtil, plus pernicieux : tel chef d'atelier de réparation, rouage ambivalent de la machine, occupant à la fois une position de dominé et de dominant, parle avec conviction de son "choix", c'est son "choix", il insiste, "de s'épanouir dans ce travail-là"...

Mais il faut écouter un technicien de son équipe parler de lui avec cette sorte de pudique commisération, observant à propos de son chef qui arrive à 7h30, est toujours là à 19h30 et court sans cesse dans l'intervalle : "il a pas d'vie". Et de "choix", pas tellement non plus, quoi qu'il en dise : quand il observe que les consignes de satisfaction de client qu'on lui donne sont impossibles à tenir avec le peu de personnel qu'on veut bien lui allouer, quand ses gars se plaignent un peu de l'intenable de tout ça, il le dit tout simplement, sans même s'en rendre compte : "j'ai pas le choix". Voilà, oui, "pas le choix".

La position servile et absurde où nous met l'absence de choix, ça s'appelle l'aliénation : mais à ce stade de la hiérarchie, et face à une caméra surtout, ça n'se dit pas - et ça n'se pense pas, monsieur.

Voilà donc un bien beau matériau pour alimenter un sentiment de révolte et de colère contre l'aliénation au travail à laquelle la période nous rend si sensibles. Matériau élaboré pour ça, à l'évidence : le docu est construit selon un projet narratif très volontaire, explicité par une voix off clairement orientée et peut-être un peu manipulatrice... Et l'on s'étonne, du coup, des mille précautions prises par le documentariste lorsqu'il s'agit d'assurer la promo de son oeuvre dans les colonnes de la presse... Car son cri tout à coup se fait mou.

Source :Arrêtsurimage

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1 commentaire:

  1. Bonjour,

    Ras le bol de cette pub sur TF1 qui passe entre chaque diffusion de programme..
    Entre Olivier..3 à 4 fois, et d'autres..

    Bouygues a besoin de pognon ? pas étonnant que la cote de TF1 baisse dans les médias.
    A les potes de la présidence..!

    Jean-Bernard.

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