vendredi 5 février 2010

Le drame de l'amiante en France : comprendre, mieux réparer, en tirer des leçons pour l'avenir .

La créosote (1), le sang contaminé, après l’amiante, on souffre d’un certain laxisme de la part de l’Etat !!

En France l’amiante a été interdit au prix d’un combat très rude contre les industriels du secteur. Mais le problème n’est pas réglé. Selon l’OMS 5% de la population totale des pays industrialisés est aujourd’hui exposée à l’amiante qui tue 3000 personnes par an en France (100 000 d’ici 2025 et plus de 500 000 en Europe).

On a importé pendant un siècle plus de 80 kilos d’amiante par Français. Cinq millions de tonnes sont disséminées dans le pays sur plus de 100 millions de mètres carrés. L’amiante provoque le mésothéliome : « les fibres calcifient peu à peu les poumons et au bout de trente à quarante ans l’oxygène ne passe plus et l’on meurt par étouffement ». On sait aujourd’hui qu’il peut provoquer également le cancer du larynx, de l’ovaire et sans doute le cancer colorectal.
Plus de 70% des Français ressentent qu’ils sont particulièrement sensibles aux problèmes environnementaux. Parmi ceux-ci une majorité, plus de 67% d’entre eux, considèrent l’amiante comme le facteur de risques le plus élevé devant le monoxyde de carbone (48,5 %) et les peintures au plomb (43,1 %) (Carevox).

L’amiante est partout. La moitié des CHU du pays en contiennent ainsi que des tours de La Défense, la tour Montparnasse, la majorité des édifices construits dans les années 60 et 70.

Des parlementaires, peu, se mobilisent, comme Patrick Roy, député PS du Nord : « Je suis stupéfait de voir qu’il y a une espèce de grand silence... On parle dans un grand désert. Il y a une omerta due à deux raisons : le fait de ne pas mettre en avant des coupables, et il existent. Et puis ça coûtera tellement cher qu’on préfère fermer les yeux, sauf que c’est un mauvais calcul parce que si on ne fait ça coûtera encore plus cher ». On en est là.
Aussi est-il amusant de lire Télérama cette semaine annonçant le film de Bougarel : « parfaite synthèse ou vaine redite ? Une réalisation sans imagination et un commentaire friand de poncifs risquent de faire pencher le spectateur pour la seconde proposition ». Pour une fois l’hebdo culturel n’assassine pas le dernier film de Woody Allen, mais préfère s’en prendre à un documentaire d’utilité publique. 100 000 cercueils, le scandale de l’amiante serait donc réalisé « sans imagination ».

Le spectateur moyen qui, comme on sait, manque d’éducation, n’y trouvera rien à redire. La forme ça compte, d’accord. Mais un documentaire doit aussi nous apprendre quelque chose. Où nous remettre les points sur les i.
Télérama, qui ne dit pas que des bêtises, rappelle que des docus sur l’amiante, il y en a déjà eu quelques-uns : Amiante, le prix du silence, de Daniel Cattelain (2003) ; La Mort lente de l’amiante,de Sylvie Deleule (2004) ; Mourir d’amiante, de Brigitte Chevet (2005).
L’amiante est un minéral qui résiste à une température de 800 degrés. L’homme le connaît depuis le néolithique, mais c’est surtout dès la révolution industrielle qu’on l’utilise massivement. Partout où il y a surchauffe ou risque d’incendie, on utilise ce minerai. Il sert d’isolant dans les immeubles, dans les planches à repasser, dans les moteurs, dans les trains, les navires, les voitures, les équipements de sapeur-pompiers, etc.
En 1906 un inspecteur du travail qui visite une usine de Condé sur Noireau (nulle part la fiche wikipedia ne mentionne que l’amiante fut l’une des activités majeures de la ville) rédige un rapport soulignant qu’aucune ventilation n’assure l’évacuation directe des poussières ». Cette année-là une cinquantaine d’ouvriers meurent de cancer.

On peut les entendre, ces ouvriers. Ou plutôt leurs descendants. Ce qu’il en reste. Leur retraite ne nous coûte pas cher. Ils n’en profitent guère. José Bougarel les interviewe. Ils ne peuvent pas parler longtemps. Même appareillés, leur souffle est court. Ils sont réunis au sein d’une association, l’Andeva, Association Nationale de Défense des Victimes de l’Amiante. A chaque réunion de l’Andeva, on compte les disparus. Ceux qui étaient là l’an passé et ceux qui n’y sont plus. « De tous les ouvriers du sous-sol en 1964 - on était huit, ils sont tous morts entre 55 et 65 ans -, je suis le seul à rester. J’étais le plus jeune », dit l’un deux au micro du réalisateur.
On sait très tôt les dangers de l’amiante. En 1918, aux Etats-Unis, les assurances refusent d’assurer les travailleurs de l’amiante. En 1931, deux chercheurs britanniques découvrent le mésothéliome, le « cancer de l’amiante.
En Grande-Bretagne, les autorités prennent des mesures. La première consiste déjà à désempoussiérer les ateliers ou à travailler en combinaison étanche avec un masque. En 1946 les Etats-Unis prennent également des mesures. A la même époque, la France se contente d’insérer les fibroses pulmonaires, premier stade du cancer, au tableau des maladies professionnelles.

Mais aucune contrainte envers les industriels. « Au lieu de supprimer un risque on versait aux salariés des primes d’insalubrité ». En 1955, un médecin anglais établit le lien entre amiante et cancer du poumon. On prend des mesures : éloigner les usines des zones habitables où le dégagement des fibres ou de poussières ne poseraient pas de problèmes. En France toujours rien.
Depuis le milieu des années 60, explique le professeur Claude Got, les données scientifiques sont acquises : amiante égale cancer. Il ne s’agit pas d’une anecdote, mais de la « plus grave catastrophe de santé au travail que l’on connaisse ». 
Au début des années 70, les industriels s’organisent en un lobby puissant qui propage de « fausses nouvelles sur le fait que l’amiante est un produit naturel et qu’on peut maîtriser le risque ». Comme pour le nucléaire ? « C’est n’est pas parce qu’il y a des accidents de la route qu’il faut interdire la voiture ».

Ce type d’argument convainc les pouvoirs publics. D’autant plus que l’incendie du collège Edouard-Pailleron, dans le 19ème arrondissement de Paris, fait 20 victimes. S’il y avait eu de l’amiante, le feu ne se serait pas propagé. Ce drame permet aux industriels de souffler. On exploite toujours l’amiante.
En 1975 on découvre de l’amiante à Jussieu. Un scientifique, Henri Pézerat, en fera son cheval de bataille.

En 1977 la France commence à prendre les premières mesures. Mais le lobby trouve un argument de poids, celui du chômage, note Claude Got qui remarque qu’on voit apparaître le même type d’argument pour d’autres industries polluantes...

Jacques Barrot, ministre de la santé entre 1974 et 1978, l’un des rares politiques a avoir accepté de parler au micro de Bougarel, interdit le flocage en 1977. Lorsque le réalisateur lui demande pourquoi il ne l’a pas fait plus tôt il répond « Je crois qu’on n’avait pas à ce moment-là les données scientifiques qui permettait de procéder à cette interdiction ». Aveu ahurissant quand on a lu ce qui précède.

Mais l’Europe est là. En 1978 l’Union adopte une résolution déclarant que l’amiante est un produit cancérigène. Un danger pour la santé humaine. L’utilisation de l’amiante doit être interdite ». L’Inserm confirme en 1979. Mais pas d’interdiction effective. En 1980 Bruxelles abaisse les limites des taux d’expositions dans les usines. En 1982 Volvo arrête d’utiliser l’amiante pour fabriquer les freins de ses camions. Ce qui prouve donc qu’on peut remplacer ce matériau.

Aux Etats-Unis des usines d’amiante ferment leur porte à force de crouler sous les procès. En France le lobby a noyauté tout le monde, donc pas question de bouger : des industriels à la CGT (l’emploi passe avant la santé) en passant par les représentants des ministères de la santé et du travail et les scientifiques (comme Etienne Fournier, de l’Académie des sciences, qui remettra en 1996 un rapport relativisant la dangerosité de l’amiante), de l’Institut National de la Consommation jusqu’à l’Institut National de Recherche et de Sécurité dont Marcel Valtat responsable du CPA, le Comité Permanent, une association sans statut juridique, réussira à débaucher le patron Dominique Moyen (qui répond ici aux questions de José Bougarel).

Le gouvernement s’arrange très bien de ce lobby et lui délègue ce « problème majeur de santé publique ». En 2005, le Sénateur UMP de l’Allier Gérard Dériot publie un rapport accablant : Le drame de l’amiante en France. Il note que « l’état est anesthésié par le lobby de l’amiante », que « l’administration est manipulée par le CPA ».

Un lobby qui décide de tout... Cela pourrait-il se produire aujourd’hui, par exemple dans le nucléaire, les OGM ? C’est aussi en cela que le film de Bougarel est intéressant. Mais aussi parce que le réalisateur démontre bien que les industriels se sont glissés dans la faille légale : pourquoi, au lendemain de la guerre l’état n’a-t-il pas pris des mesures radicales pour protéger les ouvriers de l’amiante alors que la Grande-Bretagne l’a bien fait, elle.
Aujourd’hui nous n’en avons pas fini avec le « minerai magique ». Son interdiction sera effective en 1997, suite à la publication du rapport Marcel Goldberg. Quasiment à la même époque, Claude Allègre signe une tribune dans l’Express : « Amiante, où est le problème ? »

Mais enfin la machine est enclenchée (il faudra tout de même attendre 2004 avant que l’état soit condamné, mais on attend les condamnations au pénal qui devraient arriver, nous dit ce documentaire, en 2015, si le lobby prête vie aux morts en sursis) et c’est allègrement (sans jeu de mot) que Chirac déclare à la presse, en l’occurrence à l’inénarrable Alain Duhamel, que « le gouvernement a fait un rapport qui instantanément a été rendu public et des décisions ont été immédiatement prises »...Une merveille de cynisme.
Ce cynisme qui prévaut aujourd’hui encore. Plus aux Etats-Unis, plus en Europe. Mais le monde est grand. Le plus grand fournisseur d’amiante, le Canada, tourne bien. Si le minerai est persona non grata dans ce pays, il ne l’est pas en Chine, en Inde, au Brésil, bref chez les 4/5 de la population mondiale qui s’expose et fabrique avec de l’amiante des produits que nous achetons... Le scandale de l’amiante rappelle celui du plomb.
Retirer le minerai de notre environnement coûterait sans doute très cher. Moins ou plus qu’un bombardier, demande le scientifique Marcel Goldberg auteur du rapport qui a abouti à l’interdiction du minerai en France ?

Plus on attend plus il se dégrade plus il est dangereux. Sans compter les malades qui se multiplient, le prix de la chimiothérapie, le coût social...

Merci pour l’espoir de survie mais que voulez vous, nous ne savions pas qu’il y avait danger à ce point. De nombreux collègues de travail qui comme moi travaillaient dans le bâtiment au milieu des flocages d’amiante sont décédés très jeunes. Pour ma part, j’étais un des rares à porter (pas toujours) le masque dit obligatoire que personne ne portait pour la simple raison qu’asthmatique la poussière me faisait tousser. Et puis à ma grande surprise, convoqué par la médecine du travail, j’ai appris que j’étais suivi pour l’amiante et reconnu comme malade potentiel, résultat on m’a expédié à la retraite plus tôt du jour au lendemain sans tambour ni trompette.
Bilan, j’ai gagné 7 ans de retraite sauf qu’elle est maigre puisque je n’ai pas tous les trimestres, au niveau indemnités rien de prévu , plus de suivi du tout, pas de mutuelle parce que trop chère et je gagne trop pour la CMU, en bref débrouille-toi.
L’an dernier, après plusieurs grosses difficultés pulmonaires les années précédentes j’ai senti que mes respirations s’aggravaient et que la fin approchait, grâce à internet et à la propogation malhonnête des virus de grippe, j’ai appris que l’argent colloïdal pouvait quelque chose, on se raccroche à toutes les branches possibles pour survivre.
Aujourd’hui, je respire à nouveau mieux et dépense tous les mois une centaine d’euro non remboursés dans les boutiques bio pour me soigner, à ce titre je trouve navrant qu’un remède efficace ne soit pas reconnu par la sécurité sociale.
Mes salutations à notre ministre de la santé, de la corruption et de l’incompétence.
Un survivant

(1) La créosote...et votre chabon de bois - Urgence à lire

Par Olivier Bailly

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