vendredi 12 mars 2010

Après Xynthia : Loix perd sa ferme marine

Tapie dans le marais, la pisciculture est l'une des activités économiques parmi les plus discrètes de Charente-Maritime. En arrière des digues dont certaines n'ont pas contenu la surcote de l'océan, elle pointe aujourd'hui au tableau des sinistrés, sans que cela se sache vraiment.

Des trois principaux établissements installés sur le littoral, c'est celui de Loix-en-Ré qui est le plus lourdement sinistré. Pour ne pas dire détruit. À la société La Ferme marine de Noirmoutier, qui exploite ici un élevage de turbots, les 100 tonnes de poisson réparties dans les bassins d'élevage se sont évanouies dans la nature lorsque deux brèches se sont ouvertes dans la digue. Elle bordait ce site de 26 hectares, dont 3 000 mètres carrés consacrés à l'élevage.

Sans attendre la visite de l'expert de son assureur, l'exploitant a invité un spécialiste de l'évaluation des sinistres à venir constater le sien, dès lundi dernier. Tous les tunnels qui abritaient les bassins, toute l'installation qui les reliait aux bassins amont, pour leur approvisionnement, et aval, pour le circuit hydraulique, ne sont plus qu'un vaste chantier de désolation. À deux pas, les locaux administratifs sont aussi ravagés. C'est ici que logeait un jeune stagiaire lorsque la tempête s'est abattue.

« Il s'en est sorti !, se réjouit le patron de l'entreprise, Dominique Duval, qui sait combien le drame a été évité de peu. Au départ, il avait de l'eau aux chevilles et pensait à la pluie. Après, lorsque le niveau est monté, il s'est interrogé sur les bassins de l'exploitation. Puis il a été projeté par un mur d'eau. Simultanément, la personne qui était d'astreinte technique de nuit, réveillée par l'alerte, n'a pas pu le rejoindre : le site était submergé et elle a dû rebrousser chemin. Le stagiaire est sorti du logement, il a plongé sous des caisses de polystyrène, s'est réfugié sur une palette, puis sur l'une des passerelles qui reliait nos bassins aux digues. Une sacrée résistance à l'hypothermie... Il a passé près de quatre heures dans l'eau ! »

Une ferme à reconstruire

Le drame humain a été évité de justesse. Pas le sinistre économique. Les dégâts ne sont pas encore chiffrés, mais il faut tout reconstruire. Dominique Duval ne se prononce pas encore sur l'avenir de l'entreprise, qu'il sait aujourd'hui suspendu au soutien éventuel qu'accordera son assureur, et aux aides qui ne sont pas davantage garanties et précisées.

Il est utile de souligner que la seconde unité de production de l'entreprise, à Noirmoutier (Vendée), a subi elle aussi une inondation. Mais de moindre ampleur puisque, dès lundi dernier, elle était à nouveau en mesure d'expédier du turbot. C'est d'ailleurs sur ce site que le stagiaire victime de la catastrophe de Loix-en-Ré a demandé à poursuivre son stage !

« Depuis son domicile où elle a rapatrié la ligne téléphonique de l'entreprise après avoir racheté crayons et papier, la responsable administrative de la ferme marine appelle les clients, inquiets de ne plus avoir de nouvelles, et les banques. Toute la gestion et le fichier commercial étaient enregistrés dans les trois PC que le déferlement a noyés. Il faut repartir de zéro. Les trois tours d'ordinateurs que nous avons retrouvées sont remises à une entreprise spécialisée, « en espérant que nous pourrons récupérer les données des disques durs ! »

Quant aux salariés (sept sur le site, dont cinq à temps plein), ils ont été mis en vacances. Après, seront sûrement aménagées les mesures de chômage appropriées à la situation.

Bars et dorades sont saufs

Plus au nord, dans le Fier d'Ars, le patron de la ferme marine des Baleines admet que « l'entreprise est passée près de la correctionnelle. » Dans cette commune rudement frappée par les ruptures de digues, et alors même qu'elle est implantée au coeur du marais, la ferme aquacole n'a pas été inondée. Et ses 250 tonnes de bars sont toujours dans les bassins.

Ici, aucun dégât lié à la submersion, mais un sinistre résultant directement du vent. Quatre tunnels arrachés ou dégradés, ici un portique plié, là des protections de plexiglas explosées. En comptant la perte d'exploitation, le responsable de l'entreprise estime le sinistre entre 40 000 et 50 000 euros. Cette ferme marine doit certainement à la fiabilité de ses groupes électrogènes de ne pas avoir de plus lourdes pertes.

Dans cette filière particulièrement sensible aux caprices du marché, Alexandre Peron compare néanmoins le sinistre « à la goutte de trop ! »

Le client vendéen

La Brée-les-Bains, sur l'île d'Oléron : La ferme marine du Douhet aurait certainement bu une grosse tasse si les chenaux du marais n'avaient joué le rôle de tampons lorsque la submersion a franchi la digue. Puis la renverse de marée est arrivée à temps pour que ces étiers saturés ne débordent pas davantage.

La Ferme Marine du Douhet

Pour autant, le site n'est pas exempt de dommages. Une serre arrachée. Mais, surtout, des pertes consécutives à la rupture d'alimentation électrique du site. Un groupe de secours a bien pris le relais. Mais il est tombé en panne. La puissance fournie par le second groupe électrogène étant insuffisante pour alimenter l'ensemble du site, et notamment tout l'équipement de pompage et de chauffage indispensable à la vie des alevins de dorades que produit cette ferme, des sacrifices ont été nécessaires. Les alevins les plus jeunes, élevés dans le bassin comptant le moins de poissons, ont été sacrifiés, explique en substance le responsable de l'exploitation, Jean-Sébastien Bruant. 1,5 million d'unités sont mortes, pour 13 millions d'alevins sauvés. Un moindre mal.

Mais il est une autre difficulté à laquelle la tempête a exposé la ferme oléronnaise : la destruction de l'élevage de La Tranche-sur-Mer, en Vendée, dans lequel elle avait des participations. Le site spécialisé dans le prégrossissement d'alevins, vers lequel le Douhet expédiait une partie de sa production, a été rayé des cartes par Xynthia. Disparus les 2,6 millions d'alevins qu'y possédait la ferme.

Sur l'année, la disparition de ce client, fût-il une succursale, représente une perte de 25 à 30 % pour la ferme du Douhet. En dépit de cela, il n'y a pas de conséquence pour les 36 emplois du site oléronnais. Mais se présente l'impérieuse nécessité, pour sa direction, de « se redéployer » vers d'autres débouchés.

Auteur : Philippe Baroux
p.baroux@sudouest.com

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